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FÊTE À LA COLONIE.

débarrasser un instant du masque, tant la chaleur est ardente ; c’est alors seulement que leurs figures douces et fières s’interrogent ; ils se font frotter d’eaux de senteur par leurs nègres et se disposent à rentrer dans la lice dès que la trompette aura sonné.

Mme de Langey occupe le centre de ces loges odorantes ; elle dépasse chaque femme de la colonie par son faste. Couverte de pierreries et de satin, lascivement penchée vers le prince de Rohan, qui lui sourit, elle écarte le voile qui caresse ses épaules nues et présente à Maurice une belle cerise du Cap, pendant que derrière elle l’esclave préposé au mouchoir ramasse celui qu’elle vient de laisser tomber. Aucun cri de joie, aucun vœu n’est encore parti de sa poitrine ; elle se contente de demander à M. de Rohan le nom des plus beaux officiers du Cap et des plus riches planteurs de la colonie… Repoussant avec une majestueuse indifférence les pastilles ambrées que lui présente M. Gachard dans sa boîte de porcelaine, elle jouit en silence de la jalousie de ses rivales, dont pas une n’égale sa beauté ni sa toilette. Avec un éclair de ses yeux elle terrasse ce qui l’entoure, sa fierté royale a l’air de porter un diadème.

Oh ! qu’elle ne ressemble en rien à ces jeunes femmes vives et tendres dont le cœur va se soulever quand leur amoureux reconnu à quelque signe chéri reparaîtra dans la lice ! Ces créoles aux cheveux de jais, au doux regard, laissent tomber alors de silencieuses pensées derrière leur éventail ; elles se rappellent les causeries de la veille par une nuit étoilée, les aveux, les folles caresses, toute cette vie d’amour

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