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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

Pour coupole, un ciel admirable, pommelé de légers flocons ; pour horizon, le granit azuré des mornes. La tour noirâtre de la prison de Saint-Marc, où l’Espagnol est renfermé depuis un mois, tranchait sur ce tableau dans les vapeurs du lointain.

Au signal donné, les créoles se sont répandus par la plaine. C’est à qui luttera de force, d’agilité, de noblesse ; il semble qu’ils aient résolu de faire valoir aux yeux du nègre hébété leur prééminence de caste. Ici, c’est la feuille du latanier que tranche la balle, plus loin le palet qui atteint le but aux applaudissemens de la foule ; là-bas, comme dans les jeux du cirque, un athlète aux membres bruns s’emboîte au corps d’un rival. De toutes parts ce ne sont qu’écharpes au vent, qu’applaudissemens joyeux, murmures louangeurs tombés de lèvres aussi vermeilles que la rose. Les femmes agitent leurs bouquets, croyant reconnaître leur amant ou leur frère dans le créole masqué qui passe en ce merveilleux carrousel. Étagées comme autant de fleurs sur les gradins, elles se penchent, se sourient, se passionnent, appellent les combattans par leurs noms pour les exciter. Il faut les entendre avouer imprudemment un nom chéri ; leurs éloges font relever le front aux plus modestes. Jusque-là il n’y a pourtant ni vainqueur ni vaincu, les forces sont égales, l’agilité est la même partout, c’est une famille de nobles frères qui combat ; mais parmi ces lutteurs on cherche vainement le maître.

Les chevaux sont hors d’haleine, leurs jambes grêles répandent une pluie de sueur sur le sable. Les combattans eux-mêmes rentrent sous la tente pour se