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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

un misérable, un maudit ! Ma couleur est désormais pour moi une question tranchée : — un peu plus que le nègre, au-dessous du blanc, — rien pour cette femme ! N’importe, j’aime mieux rester parmi ces aventuriers qui pillent que parmi ces insolens qui méprisent ! Puis-je oublier que l’indignité de ma race me suivra jusqu’au tombeau ?

Il reprenait bientôt, navré de douleur :

— Et cependant je l’aime ; j’ai beau me le cacher, je l’aime ! Je lui parle, je la vois ! Ce corps, cette bouche, ont conservé pour moi leur parfum et leur haleine ; j’entends le frôlement de sa robe au milieu même du silence de la forêt ; le bleu du ciel me rappelle son regard, son voile blanc passe souvent dans mes rêves ! Étrange égarement ! il me semble parfois que l’empreinte de ma passion brûlante devra la marquer à des temps voulus ! Dans nos veilles nocturnes, lorsque les étoiles distillent la rosée, il me semble entendre son pas… Si je n’étais point marqué de cet ineffaçable sceau de la servitude ! Ce qui me tue, c’est la conscience amère de cet abaissement, c’est le linceul noir jeté à tout jamais sur mon visage ! Ma mère ! ma triste mère ! vous m’avez pourtant parlé bien souvent de noblesse et de grandeur ; vous m’avez dit souvent que, si le ciel était juste, je devais marcher l’égal d’un blanc ; était-ce folie ou dérision, ma mère ? Je suis dégradé, méprisé de tous, avili ! Pourtant je suis robuste ; les précepteurs de Maurice m’ont trouvé aussi apte qu’un blanc à retenir leurs doctrines. Les portes de l’espérance sont-elles donc fermées pour moi ?