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LE PORTEFEUILLE

force ; les meilleures leçons d’escrime et les plus belles dattes étaient pour lui. Ce complément d’éducation à la Gil-Blas ne pouvait manquer d’abord de lui plaire. Tio-Blas aimait à s’en faire accompagner ; c’était le plus beau joûteur de sa troupe, où nul à coup sûr ne le valait et ne l’eût insulté en vain. Ce noble de Castille, qui s’était fait bandit si effrontément, se surprenait parfois encore à parler devant ses compagnons de la puissance de l’Espagne, la première puissance de l’Europe sous Charles V, lorsque Séville renfermait soixante mille métiers à soie, disait-il ; lorsque les draps de Ségovie et de Catalogne étaient les plus recherchés comme les plus beaux de l’Europe, et qu’il se négociait quatre cent cinquante millions de valeurs en lettres de change dans une seule foire de Médine. Hélas ! il ne fallut pas longtemps à Saint-Georges pour comprendre la différence essentielle de l’état des possessions des deux couronnes. La colonie française pouvait être regardée comme un chêne de belle et vigoureuse nature ; la colonie espagnole présentait l’image d’un arbre caduc, desséché. Dès les premiers pas que le mulâtre fit dans ces landes, il les trouva remplies de fièvre, d’indolence et de misère. De rares cultures à côté d’une végétation luxuriante, un esprit d’insouciance que rien ne pouvait excuser, un état plus triste que celui où Christophe Colomb laissa les premiers maîtres de cette terre ! Les troupeaux erraient dans les campagnes incultes, l’œil rencontrait à peine autour des habitations quelques jardins à légumes et à fruits. La mollesse des colons n’employait même pas les esclaves du sol au

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