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LE PORTEFEUILLE

joindre, à renfort de marche, son habitation dominant l’enfoncement voisin de la vallée d’Oya et que les habitans nomment le Tombeau du Diable.

Pour cela il fallait plusieurs jours de route, franchir des mornes roides entrecoupés de ravins. Cette caravane formait un ensemble si curieux que Saint-Georges ne put se défendre d’un certain sentiment d’intérêt en l’étudiant…

C’étaient pour la plupart des noirs de la partie espagnole de Saint-Domingue ; cependant il y avait parmi eux quelques Castillans déguenillés comme l’homme qui les guidait. Le gentilhomme, l’officier réformé, le marchand, le pacotilleur déçu ou ruiné étaient venus grossir ce corps savamment discipliné. Les repas ne duraient ordinairement qu’un quart d’heure, on employait le reste du temps à sonder les forêts environnantes et à éviter les embûches des plumets jaunes, ainsi appelaient-ils les soldats des villes, envoyés à leur poursuite. Comme s’ils eussent encore habité Santo-Domingo, Porto-Plata ou toute autre résidence, ces hommes exécutaient un roulement sur un énorme tambour pour annoncer l’heure de l’Angelus ; alors ces pieux bandits s’agenouillaient sur l’herbe ou les pierres. Les pistaches à la bouche, ils faisaient gaiment la sieste dans leurs hamacs nomades, choisissant deux arbres de la forêt pour y suspendre eux-mêmes ce lit mobile, dans lequel ils se blottissaient enveloppés soigneusement de leurs manteaux, afin de se garantir de la piqûre des insectes. Leurs bras herculéens demeuraient nus, leurs culottes de guingamp bleu étaient retroussées jusqu’au milieu