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LE PORTEFEUILLE

coucher encore à ses pieds comme un chien, je le ferais, disait-il les yeux gonflés de larmes… J’ai bien souffert le jour qu’elle m’a chassé, mais je l’aime !

Le compagnon de Saint-Georges murmura tout bas :

— Moi, je la hais !

Tio-Blas, que nos lecteurs auront sans doute reconnu, était alors bien changé. Un an presque entier avait creusé de nouveau les rides de son visage, comme la pluie creuse les ravins ou la pierre. Respirant pour sa seule vengeance, il n’avait eu garde de laisser échapper une aussi belle occasion d’apprendre la vie de Mme de Langey par un de ses propres esclaves ; tous ces mille détails vinrent aviver sa rage, ils s’enfoncèrent comme autant de dards en sa plaie. L’amour de ce jeune homme, amour triste et réprouvé, n’émut pourtant pas son cœur, sa fierté de noble et d’Espagnol le mettant au-dessus d’un attendrissement puéril pour un mulâtre. Un seul péril de Saint-Georges éveilla sa compassion, ce fut sa punition pour un crime que lui-même avait conseillé et dont le mulâtre Raphaël n’avait été que l’instrument. Dans ce cœur habité par les anges du mal et de la haine, livré à toute la fougue du brigandage, il se trouva une admiration douloureuse pour cet instant de la vie de Saint-Georges ; l’Espagnol résolut d’en faire un des siens, c’était dans son idée une marque de haute récompense. En lui parlant chaque jour de Mme de Langey, le mulâtre remplirait l’office d’un homme qui souffle le feu sous les branches sè-