Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/354

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

rochers, des fleuves, de la plaine. En se retrouvant près de cette église, le mulâtre se sentit plus grand, plus résolu. Il n’y a pas d’esclave devant cette croix de bois qui a sauvé l’univers !

À cette heure qui précède le jour, la douce nature s’éveillait, les mamelons des mornes ruisselaient des perles de la rosée. Saint-Georges admirait cette radieuse bordure qui encadrait la savane ; il aspirait ces parfums. On n’entendait pas encore le tintement de la cloche à cette église nue et pauvre comme une église de village…

L’inconnu priait toujours… la pensée de sa prière l’absorbait ; il ne se leva que lorsque la cloche eut sonné.

Prenant alors son cheval par la bride, il partit après avoir baisé religieusement cette pierre.

Il fallait traverser le jardin du curé pour arriver à sa demeure modeste. Saint-Georges suivit l’homme machinalement ; tout d’un coup il entrevit le curé à travers un massif d’arbres. L’idée lui vint alors d’attendre et de se cacher ; pendant ce temps de recueillement il préparerait sa harangue. Le brave pasteur disait son office. C’était un dominicain au teint fleuri, au visage ouvert ; il ne ressemblait en rien aux capucins envoyés de France à la colonie, qui ne tardent pas à ne plus être capucins dès qu’ils se couvrent de linge et d’étoffes fines, qui se font servir par des négresses et ont dans leur maison un équipage, un cocher et un cuisinier. Expédié à Saint-Domingue par son provincial, le curé de Saint-Marc ne s’était dépouillé ni de son esprit ni de son habit :