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RENCONTRE.

cuisine, savez-vous ce que je lui ai répondu ? Que je n’aimais qu’une personne au monde, un être qui ne me payait point de retour !… mais chut ! ajouta Finette, en posant mystérieusement son joli doigt sur ses lèvres, celui-là dort, et il ne faut pas le réveiller !

— Tu aimes mon fils ! soupira la négresse, tu l’aimes ! N’est-il pas vrai qu’il est beau ? Je tremble seulement, Finette, qu’il ne soit jamais heureux.

— Vous dites vrai, Noëmi, car celle qu’il aime, reprit Finette avec amertume, celle qu’il aime, ce n’est point moi…

— Et pour qui son cœur aurait-il déjà parlé ?

— Pour une femme, Noëmi, qui n’aimera jamais son amant, cet amant fût-il aussi beau que le soleil sortant de la mer d’émeraude qui ceint nos plages, pour une femme qui ne le regardera seulement pas, pour Mme  de Langey !

— Madame de Langey ! s’écria Noëmi en se levant avec un tremblement convulsif, jamais, jamais, Finette ! Mais tu te trompes, oh ! cela ne se peut pas ; il n’aime pas Mme  de Langey !

L’exclamation de Noëmi venait de réveiller le jeune mulâtre… Il étendit ses bras, et il vit sa mère à son chevet, sa mère glacée, immobile…

— Qu’as-tu, mère ? lui demanda-t-il, ta main est trempée de sueur plus encore que la mienne… Rassure-toi, je serai guéri demain… Je faisais tout à l’heure un rêve qui m’inondait de bonheur et de délices… J’étais beau, fêté, chacun me souriait, les femmes blanches elles-mêmes, oh ! c’était un bien beau rêve ! Je ne rentrais plus dans une chétive

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