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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

charrettes couvertes de cuir mal tanné qui voituraient l’ancien gouverneur, M. le marquis de l’Armage. Près les belles haies de campêches et de citronniers qui bordaient la Rose c’étaient, le soir, de douces et tendres paroles, des robes blanches de mulâtresses, des chants, des airs du pays glissant sur le vert tendre des buissons. À l’intérieur de cette cour, où on l’avait parqué, tout était deuil et tristesse ; au dehors, tout était amour et joie !

Un jour, il apprit de Finette qu’il devait y avoir spectacle à Saint-Marc. Le théâtre était demeuré longtemps fermé ; la marquise et Maurice y assisteraient, Finette le lui avait dit. À force d’économie, sa mère s’était procuré un frac de velours, il le savait ; ce frac devait lui servir à la messe aux grands dimanches. Sans en prévenir le moins du monde Noëmi, il s’en para, et prenant un cheval à l’écurie, il le monta dans cet équipage jusqu’à Saint-Marc. En agissant de la sorte, il savait à merveille qu’il encourait le fouet, l’amende, la prison ; mais c’était une invincible joie qu’il contentait. Mme de Langey allait enfin le revoir, et le voir sans sa livrée ! Le cœur lui battait ; en payant sa place à ce théâtre, il ne tarda pas à voir la loge de la marquise remplie des plus brillans uniformes, les commandans et les officiers militaires y formaient contraste avec le menu peuple et la négraille. Saint-Georges reconnut dans cette loge la chaise qu’il occupait près de Maurice trois mois avant elle se trouvait vide par un singulier hasard ; le bras nu et diaphane de Mme de Langey reposait sur son velours… Oh ! comme cette vue fit refluer le sang