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LA LIVRÉE.

logne, il y était inscrit, sinon étampé, sous le no 143. Noëmi ne put donc apporter aucun soulagement à cette douleur, elle dont le cœur maternel saignait à chaque blessure de son enfant ! Le soir, quand il se couchait enveloppé d’un pagne en lambeaux dans cette immense écurie, il trouvait seulement la Bible de sa mère ouverte à quelque chapitre sublime de résignation, celui de Job ou de Tobie, par exemple. À leurs pages humides encore de quelques larmes tombées, il reconnaissait que sa mère n’avait plus, hélas ! d’autre ressource que de prier ; mais aussi cette mère était devenue chrétienne, les exhortations du curé de Saint-Marc et encore plus sa reconnaissance pour lui avaient fait descendre la persuasion dans son cœur elle n’avait pas hésité à adorer le Dieu de son fils !

Dans les colonies, à l’époque de cette histoire, les habitans des villes, tous ceux qui ont besoin du gouvernement, qui tiennent à l’administration de la justice, les marchands, facteurs et agens du commerce étaient couverts de bijoux, de broderies, de galons, leur luxe de parure singeait celui des seigneurs. Saint-Georges les voyait passer devant ses yeux avec des équipages de grand prix, des habits de velours qu’ils ne craignaient pas de revêtir, malgré la chaleur, pour aller se renfermer à la Comédie. Dans les villes, c’étaient mille boutiques où, ruisselait l’or ; il entendait dire qu’il y en avait peut-être pour 40 millions à Saint-Domingue. Autour de lui les femmes et les jeunes gens de la colonie s’agitaient dans une perpétuelle ivresse, les chaises dans lesquelles les moindres pacotilleurs roulaient eussent fait honte aux honnêtes et vieilles