Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

c’est Mme la marquise que vous aimez ! C’est elle ! c’est elle ! je ne vous suis donc rien, moi !

— Accuse-moi, Finette, accuse-moi ; un mulâtre, je le sais, doit aimer une mulâtresse… c’est la règle… Mais Finette, tu es vengée, cet amour est un amour sans espoir… Je ne l’aime pas comme ces blancs parfumés, vois-tu bien, je l’aime avec violence, avec délire ! Cette livrée, Finette, je ne devrais pas la porter, mais je la verrai sous cette livrée, je l’entendrai, et pour moi, la voir ou l’entendre, c’est le soleil, c’est la vie !

— Ma maîtresse n’aimera jamais quelqu’un, reprit Finette, elle se laisse aimer, voilà tout ! Avez-vous de l’or, des diamans ? Êtes-vous marquis ou prince ? Mon pauvre Saint-Georges, on vous attend à l’office… Vous monterez derrière la voiture, ami, vous vous tiendrez droit comme un piquet à la portière… Mme d’Esparbac vous donnait jadis des bonbons, Dieu veuille que vous ne receviez point des coups ! Ah ! vous voulez tâter de l’amour, et de l’amour des grandes dames ! Pauvre enfant ! voilà une belle ambition ! Quoi qu’il vous arrive, n’importe, je veux être votre bon ange ! Un jour vous direz : « Finette m’aimait, je ne l’aimais pas, je le lui ai dit, cela n’a rien fait, elle m’a toujours aimé !… » Et maintenant, Saint-Georges, séparons-nous, la cloche de la cotonnerie a sonné, allez à l’office, car, encore une fois, l’on vous attend !

Des larmes pareilles aux perles de cette rosée filtrant, à cette heure, de branche en branche, coulaient sur les joues de la mulâtresse. La confidence de ce triste amour avait été pour elle un aiguillon cruel,