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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

Accusé d’un crime qu’il n’avait pas même soupçonné, Saint-Georges s’en était vu décharger devant tous par l’aveu même de son auteur ; Noëmi, sa mère, avait démontré son innocence ; mais il était mulâtre, sa couleur parlait contre lui, il devait se regarder comme heureux d’en être quitte à ce prix !

En s’éloignant de Maurice, qui le regardait partir de l’air contrarié d’un enfant auquel on arrache son jouet, Saint-Georges sentit une larme déborder de sa paupière… Maurice, n’était-ce pas l’unique lien qui l’attachait à ce monde nouveau pour lui, monde d’espérances et d’illusions aimées qui lui échappait ! Qu’allait-il devenir ? et sous quelle glèbe lui faudrait-il se courber ?

Oh ! si les convives de la Rose avaient pu démêler les secrètes agitations de cette âme, sa fierté blessée, sa rage ! N’avait-il pas atteint cet âge de la vie où l’invincible curiosité de tout connaître donne des ailes à l’intelligence ? Ne pouvait-il donc entrevoir déjà l’amertume de la domesticité, cette humiliation plus lourde aux cœurs altiers que l’esclavage ? Après avoir mangé le pain blanc de cette maison, supporterait-il le pain de rebut donné aux nègres, les froids sarcasme de la valetaille, les rivalités basses et l’exil dans la mansarde ? Il avait vu de près ces splendeurs asiatiques de Saint-Domingue, ces fêtes, ces pachas au milieu de leurs harems et de leurs esclaves ; il avait partagé les heures dorées de Maurice, il s’était enivré de la contemplation muette de Mme de Langey ! Et c’était de sa bouche qu’il recevait cet ordre fatal ! C’était cette femme, pour laquelle il aurait donné sa