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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

quand Mme  de Langey, lui serrant le bras avec force fit tomber la truelle à terre. Transportée de fureur, la marquise demanda à M. Printemps si ce poisson était empoisonné.

Le maître d’hôtel examina le mulle-rouget : sur les bords du plat, orné de moulures d’argent, suintait alors un jus roussâtre, c’était le jus du manioc, auquel on ne connaît comme contre-poison dans les îles que le suc de raucou.

M. Printemps déclara avoir visité le poisson à son arrivée, il affirma que le manioc devait avoir été distillé sur le plat à l’instant même…

— Parleras-tu, misérable ? s’écria Mme  de Langey, hors d’elle-même, en secouant Saint-Georges stupéfait…, M. de Rohan avait pâli ainsi que les autres convives, ce poison lui rappelait les menaces anonymes qu’on lui avait adressées. Maurice semblait hébété, il avait encore la serviette nouée sous le menton, et ne comprenait guère tout ce tumulte… En voyant ces gentilshommes porter la main, par un mouvement machinal, à leur épée, le petit marquis avait voulu tirer la sienne pour se défendre, mais elle était rivée au fourreau par un clou, comme toutes les épées d’enfant.

— Par pitié, madame, répondit le mulâtre en se jetant aux pieds de la marquise, qui le terrifiait de son regard enflammé, par pitié ne me punissez pas, oh ! je ne suis point coupable ! Ce n’est pas moi qui ai passé le plat par la tour, j’étais ici… Ce n’est pas moi non plus que l’on a chargé de l’acheter, vous le savez bien !