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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

M. de Rohan, le lui remit… Elle avait reconnu le nom de l’Espagnol, et la certitude des poursuites dirigées contre cet homme lui rendait quelque assurance.

La nuit était venue tout à fait, une de ces nuits sans lune, comme on en remarque aux Antilles. M. de Rohan avait offert la main, sous la basque de son habit, à Mme  de Langey ; des noirs les escortaient avec des candélabres à triples branches. La salle à manger de la Rose se trouvait assez distante de la volière ; en passant près de raisiniers épais, la marquise crut voir, à l’aide d’une raffale de lumière produite par les torches, deux hommes causer entre eux… L’un d’eux jeta à l’autre un poids sonore dans son tablier, puis il s’éloigna à pas pressés… Le signalement qu’elle venait de lire avait si fort troublé Mme  de Langey qu’elle ne tira aucune conséquence de ce fait matériel, assez bizarre toutefois à pareille heure pour éveiller l’attention.

Rêveuse encore et prêtant à peine l’oreille aux paroles empressées de M. de Rohan, la marquise entra dans la salle à manger, ornée dès le seuil de guirlandes odorifères. Les fenêtres en étaient ouvertes, une brise divine apportait à ce lieu le parfum des citronniers. La table était circulaire, décorée de la plus belle vaisselle armoriée qui se pût voir, six glaces à trumeau l’encadraient, répétant à l’envie l’étage enflammé des lustres en cristal de roche. Recouverts de cloches d’or magnifiquement ciselées, tous les mets, sans excepter les poissons et les crustacées, se trouvaient cachés à l’œil et à l’avidité des