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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

attise ce feu. Elle ne s’inquiète ni de ce regard trop vif, ni de cet amour concentré comme la lave. La créole ne doit voir que ce qui est blanc ; le jaune ou le noir, voilà pour elle une couleur négative !

Aussi, que lui importent les pas inquiets d’un pareil amour, ses folies ardentes, sa fièvre ? Voit-elle le mulâtre prosterné le soir sur la natte que ses pantoufles ont touchée, baisant cette place et la rebaisant vingt fois, s’enivrant des émanations d’un voile oublié, d’une robe ou d’une mante suspendue ? il rit, il pleure, il prodigue aux meubles épars de sa chambre des caresses insensées. Le voit-elle, haletant des mille rêves de sa nuit, sortir le malin sous la première brise qui tombe des mornes pour aller rêver devant le bruissement des grandes eaux soulevées comme son âme ? Les raffales distinctes du vent qui gémit, ne sont-ce point ses soupirs ? l’écume de cette mer, n’est-ce point le bouillonnement de sa pensée ? L’image de cette femme le suit partout ; sous cette enveloppe de beauté peut-il soupçonner sa froide nature ? Hélas ! comme la forêt de lianes qui pend sur sa tête, il la croit peuplée de tendres et doux murmures, il ne la sait pas insensible ! Fasciné par son incroyable beauté, il la voit passer comme la reine de ses songes. La voilà à cheval, son voile vert flotte au vent, elle fend l’air balsamique de la plaine, elle côtoie la mer aux vagues phosphorescentes ! Oh ! si le pied du cheval pouvait glisser, si quelque reptile pouvait tout d’un coup surgir devant elle ! Avec quelle joie, quel amour, Saint-Georges ne se lèverait-il pas pour la défendre ?