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AMOUR.

Finette est de sa couleur, et Mme  de Langey est pour lui la femme d’un nouveau monde, une blanche, une adorable vision ! Elle se l’est attaché comme la sultane s’attache l’enfant du sérail, le muet vendu dans un marché. Tout le jour elle pose devant lui, elle rit, badine, et se fait porter à son bain jusque sous ses yeux. Il assiste à sa toilette, la voit se déganter après le bal ; en l’absence de Finette, il agite l’éventail sur son col nu. Quand elle monte à cheval, c’est lui qui place son pied dans l’étrier, c’est lui encore qui la couche dans son palanquin suivi de dix nègres. Exempte devant lui de toute délicatesse de pudeur ; — car il n’est qu’une chose, un marbre, — la créole agit comme s’il n’était pas là, elle ne s’entoure d’aucune précaution, d’aucun voile. Elle se livre à la fois à la vivacité, à la mutinerie, à l’indolence. Pourquoi réprimerait-elle les mouvemens divins de sa nature devant cet esclave ? Elle s’est vouée, depuis que son deuil est fini, à tous les périls amoureux de cette société nouvelle ; elle vit sans alarmes au cœur de la colonie, où règne une végétation de vices. M. de Boullogne doit l’y laisser encore un an. Les jeunes capitaines lui baisent la main, les vieillards murmurent des flatteries intéressées autour d’elle. Saint-Georges voit tout cela, ces regards, ces caresses, ces séductions. IL la voit avec sa candeur de jeune homme, avec ses sens de mulâtre. Son cœur bondit au-devant d’elle chaque fois qu’elle passe ; ne lui suffit-il pas qu’elle soit libre et lui esclave, pour mesurer déjà la distance avec ce coup d’œil téméraire qui n’appartient qu’aux âmes jeunes ? Elle-même, vous l’avez vu,