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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

lâtre. L’ajoupa qu’il habitait avant ce jour était sombre et triste, il y dormait sur le sol ou sur des nattes pourries ; retenu près de sa mère, il y regrettait souvent le jour et l’espace. Là, une misérable ruelle pour horizon, quelques fleurs rongées du soleil sur le bord de la fenêtre, le fouet du commandeur incessamment levé, la laideur physique de ses frères et leur laideur morale souvent plus affreuse encore, tel était le journalier spectacle offert aux yeux de Saint-Georges. Ici, au contraire, toutes les émanations du bien-être, de la richesse, du raffinement en fait de vie. Il partageait tout avec le jeune marquis, la crème parfumée de l’attier offerte à ses lèvres, les sucs de l’orange, les mets exquis, la chambre spacieuse, les études et les plaisirs. C’était un bouleversement complet dans son existence, il se croyait transporté dans un monde tout nouveau ; peu s’en fallut qu’il ne ployât le genou devant Mme  de Langey, qui lui adressait, toutefois fort rarement, la parole. Mme  de Langey ne lui avait-elle pas ouvert le paradis ?

Maurice s’éprit bien vite de son cher jaune, comme il l’appelait ; c’était, nous l’avons dit, l’amitié innée du faible pour le fort, comme celle de Saint-Georges résidait dans le sentiment secret de la protection. À le manier, en effet, entre ses bras rudes et forts, à le porter sur son lit ou sur la selle de son cheval, le mulâtre avait senti qu’il fallait à ce pauvre enfant un tuteur actif, une sorte de garde du corps, tant le jeune marquis avait la fibre molle et débile, tant la faiblesse de l’enfance menaçait de se prolonger chez lui, ne fût-ce que par la mollesse, au delà des temps voulus.