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TIO-BLAS.

ton, qu’en sa qualité de protestant j’avais déjà fait jeter par mes nègres au fond d’une soufrière, en cette plaine isolée… — Mais Langey était mon frère, Langey était de la même religion que moi son assassin ! Il serait impossible de le présenter à l’église espagnole — cela était vrai ; mais je ne saurais non plus me faire à l’idée que la terre où je marchais pût receler sa dépouille : chaque plaine, chaque pierre ne crierait-elle pas contre moi ? Quelle vie mènerais-je sur cette lande inculte ? quels remords, quelles tortures, si je l’y savais près de moi, ombre implacable, terrible ! Et quand je vous entraînerais vous-même, — comme je l’espérais déjà, — dans ma nouvelle demeure pour y partager mon sort, ce mort, si voisin de nous, ne pourrait-il se lever ?

« En proie à ces pensées, je donnai l’ordre à deux de mes hommes de charger le corps sur une mule et de m’accompagner vers la partie française de l’Ile, à la ville de Saint-Marc. Je connaissais le curé de cette paroisse ; je le savais bon, crédule : je l’aborderais en lui disant que votre mari avait croisé le fer contre sir Crafton ; que l’Anglais l’avait tué et avait fui vers les mines de Cibäo. De cette façon, M. de Langey serait enterré en lieu saint ; la voix de ma conscience ne me crierait plus : « Impie ! »

« Ce voyage dura cinq jours. Je montais un coursier de nos hattes ; mes deux noirs suivaient avec un mulet en laisse, caparaçonné de noir. Je ne saurais vous dire par quels épouvantables remords je me sentis le cœur labouré durant cette route : il me semblait que tout le monde dût lire mon crime sur mon front. Ce crime