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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

ne fut à l’abri de mes atteintes impies. Nulle flamme cependant ne sortait du tabernacle, nul fantôme de saint ne se levait ; et moi, misérable enfouisseur, après avoir chargé sur ma mule tous ces trésors, j’allais procéder à leur fonte avec mes noirs au sein des montagnes. La moitié de mon or payait ma troupe ; l’autre partie, dont je savais seul la cachette, devait servir à me racheter de ma ruine à vos yeux. Je ne vous eusse jamais avoué que j’étais un mendiant !

« Cette vie infâme m’avait tellement absorbé que j’en avais presque oublié ma haine… L’image de votre mari ne se présentait plus à moi, ou du moins la vôtre se plaçait si délicieusement devant la sienne que je ne ressentais plus rien de ces frémissemens jaloux, de cette fièvre insensée qui me transportait à son nom seul… Accoudé contre un rocher, je me surprenais, au milieu de veilles terribles, à suivre des yeux une étoile sur la voie lactée du ciel, je lui donnais votre nom, je maudissais les nuages envieux qui me la cachaient… Mes noirs, habitués à m’obéir, attendaient souvent mon signal et demeuraient hébétés de me voir ainsi muet, quand je secouais ma rêverie, mon regard leur faisait peur. Aucun n’eût songé à me dénoncer, pas un ne me comprenait !

« — Viendrez-vous demain à la Concha ? me dirent-ils un soir, il y aura, maître, plusieurs Anglais débarqués de l’Ariane… le navire en rade qui nous est venu de la Guadeloupe il y a deux mois… C’est à la Concha, vous ne pouvez l’avoir oublié, que se font tous nos marchés… Et puis on y danse, il y a