Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

quelle folle jalousie ! Il a parlé de m’emmener en France, de me faire quitter la Guadeloupe ; ses exigences sont plus fortes de jour en jour. Croirais-tu que je me suis souvent prise à rêver que j’étais devant un autel ; tu m’y donnais la main, j’étais agitée de mouvemens vifs et confus ; il n’était plus là, j’étais libre ! À toi seul ma vie, mon amour ! m’écriais-je en le couvrant de mes baisers. Ô douleur ! ce songe devait crouler avec le réveil : loin de me retrouver, comme aujourd’hui, émue, délirante entre tes bras, je me surprenais contrainte, inanimée dans les siens ! Alors seulement je pouvais sonder l’abîme qui nous séparait, entrevoir sa profondeur ! toute prospérité m’était interdite avec toi Je n’avais plus qu’à mourir !

« — Mais il est à Saint-Domingue ? interrompis-je.

« — À Saint-Domingue, je te l’ai dit, et dans huit jours je l’attends.

« — Ainsi notre bonheur sera troublé, nous n’aurons plus un seul instant de repos ! il va s’abattre ici sur notre nid comme le vautour ! À quoi bon mes veilles, mes privations, mes souffrances ? Caroline, vous me dites tard la vérité. M. de Langey, quand je suis venu ici il y a sept ans, était moins jaloux, moins soupçonneux. N’importe, votre bonheur avant tout… Oui, je m’éloignerai, je partirai ; dans quelques heures, je vous aurai quittée encore une fois ! Aussi bien, ne suis-je qu’un misérable exilé de ma terre natale, mon sort est d’errer ainsi qu’un juif maudit !… Au revoir, madame ; le jour qui tombe à vos rideaux m’avertit lui-même de partir. Caroline, adieu !