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TIO-BLAS.

vain réclamé de ma famille ! La tête appuyée sur la misérable natte de paille qui recevait à peine, vers midi, une caresse du soleil lorsque ses feux brûlaient la plaine en dehors, je prenais Dieu à témoin de mon supplice ; le front abattu, la bouche ardente de soif, je lui demandais les ailes de ces mille oiseaux voyageurs qui passaient sur ma tête et dont je n’entendais que les cris, pour franchir un instant, fût-ce au prix de mille morts, les flots de la mer immense et me retrouver auprès de celle vers qui je tendais les bras ! Parfois le ciel semblait m’exaucer : mes liens tombaient, je me voyais libre… Songeant alors à la Guadeloupe, je la voyais se détacher et venir à moi comme un cygne flottant sur l’eau ! Mollement illuminée aux vapeurs bleues de la lune, votre image enchanteresse planait sur moi ; j’écartais de mes deux mains, pour vous recevoir, les moindres cailloux de la plage ; je mouillais de mes larmes l’endroit qui allait recevoir vos pas ! Le rêve effacé, je me retrouvais seul, seul devant le crucifix que l’insultante pitié de mes juges avait laissé à ces murs ! Ils ne savaient que trop que j’étais innocent ; mais ils vivaient de ma mort ; cette richesse, que je n’avais amassée que pour vous, ils se la partageaient comme une dépouille ! Le temps était venu cependant où ces pierres, qui devaient se fendre sous mes sanglots, allaient s’ouvrir aux réclamations de mes amis désabusés sur mon trépas dont on avait fait courir la nouvelle. L’heure de ma délivrance approchait, et je l’attendais comme si elle eût dû me rendre la vie !

« Hélas ! Il ne vint que trop vite pour moi, ce jour

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