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TIO-BLAS.

« — Écoutez. Vous chargez-vous de me faire expédier de chez moi, à l’aide de ces deux mots que j’écris, un coffret laissé à San-Yago ? Combien attendrai-je de jours ?

« — Quinze au plus, le navire l’Hercule part ce soir même ; je me charge de votre commission.

« Après ce dialogue, je quittai le juif. J’avais recueilli de sa bouche plus de renseignemens que je n’en aurais espéré de votre mulâtresse. Cet amour absorbant dominait la veille toutes mes pensées, je me débattais en vain sous son influence magnétique : il me tenait garrotté sous lui, je ne pouvais faire un pas ! Aujourd’hui je me sentais plus à l’aise : je vous savais pauvre, je pouvais vous aborder ! Quelle joie, quel orgueil j’éprouvais à me contempler moi-même ! Possesseur d’un riche domaine, je pouvais mettre à vos pieds une fortune, vous sauver de la honte peut-être !… En cas de fuite, mon bras vous était acquis, mon esquif préparé vous attendait, et alors vous viendriez avec moi, vous quitteriez ces lieux où je ne faisais que passer comme passe l’oiseau ; mon palais vous recevrait !

« Vous aimiez singulièrement la musique. Quelques jeunes gens de la ville me proposèrent d’assister à un repas qu’ils vous offraient ; je vous accompagnai sur le clavecin : j’entrevis ainsi de plus près votre fatale beauté. La journée se passa en conversations, en plaisirs. M. de Langey ne vous quittait plus ; je sus si bien faire que je l’éloignai : il se mit au jeu, et je pus vous parler une première fois de mon amour !