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AVANT-PROPOS.

de sa corruption et l’Angleterre de ses fautes. On ne doit pas accepter seulement ce siècle comme un fait, mais bien comme une question.

Question profonde en effet, mon cher Duc, que celle de savoir par quelle suite bizarre d’événemens et de ligues un pareil siècle, en tombant, a tout entraîné autour de lui dans sa chute : tout, depuis le respect de la royauté jusqu’au respect de la possession, car la même massue qui a frappé le trône a réduit en poudre le système colonial. Voyez ce terrain où tous les principes sociaux se débattent pour succomber, où l’histoire des idées devient aussi curieuse que celle des hommes ! Là, chaque guerrier du tournoi entre en lice avec ses couleurs et son armure ; on les reconnaît, on les désigne : Voltaire, Franklin, Mirabeau sillonnent ces temps comme de rapides météores. Autour d’eux se groupent les paradoxes et les vérités, l’ignorance et le savoir ; les camps se forment, on s’agite, on parle, on discute, c’est à qui se fera roi ! Jamais on ne vit pareil mouvement et pareil tumulte ; l’armée des rhéteurs entre partout, les plus indifférens reçoivent le mot d’ordre, et l’on obéit à Diderot en attendant que l’on obéisse à Marat. Comme les pamphlets sont plus que jamais à l’ordre du jour, il est difficile de se former une idée précise des hommes ; on les élève aux nues, ou on les traîne à l’égout. Encore une fois, et lorsque la lave sera refroidie, quel texte pour l’écrivain, quelle impérieuse curiosité de parcourir cet immense champ de bataille et de reconnaître chacun de ces morts au visage !