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TIO-BLAS.

coûte ni ne résiste. L’empreinte irrécusable de la fatalité marquait cet homme, tombant pour ainsi dire en ruines autour de lui-même, usé par les passions ou le climat, eau stagnante au premier aspect, mais qui fermentait continuellement au soleil. À travers sa dégradation et sa misère, il laissait percer des airs réels et imposans d’autorité.

Debout devant la marquise, il l’examinait avec une avidité singulière ; il semblait qu’il y eût longtemps qu’il n’eût contemplé ses traits ; il s’en repaissait comme l’alligator se repaît d’abord de sa victime, — par la vue.

En ce moment terrible, la marquise regretta de ne plus avoir de mari, de défenseur ; mais l’horreur de sa situation l’entraînait, elle connaissait cet homme, et il était écrit qu’elle lui devait répondre comme à un juge.

— Caroline, dit-il, depuis combien de temps me croyez-vous de retour ici ?

— Mais je ne sais… Qui me l’aurait dit ? Vos propriétés ne sont-elles pas dans le continent espagnol ?

— Mes propriétés ! vous riez. Je suis un marchand orpailleur qui commande, pour son commerce, à quinze nègres : voilà tout.

La marquise ne répondit pas à ces mots prononcés avec une ironie insouciante.

— Vous ne doutez pas de mes paroles, je l’espère ! Me croyez-vous noble ou grand seigneur, par hasard ? Fi donc ! Je suis Tio-Blas, un marchand.