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LE MAPOU

du vase. Si elle avait choisi Saint-Domingue pour sa résidence, tout en obéissant aux volontés de M. de Boullogne, c’était parce qu’elle cherchait l’étourdissement. Or, elle abordait, par un calme plat, cette colonie qu’on lui avait dépeinte sous les couleurs de la féerie et du plaisir. Son deuil lui interdisait la danse, la danse aux mille bras, qui l’eût emportée dès son arrivée au milieu de ses tourbillons joyeux ! Si du moins les fêtes, la musique l’eussent fait valoir aux yeux de tous avec le prestige de son attrayante langueur ! Le bal, qu’elle regrettait, le bal, cet ami qui ne manque jamais aux femmes ; le bal, qu’elle ne pouvait reprendre qu’au bout de cinq mois, eût fait ressortir la souplesse de sa taille et cette démarche de créole dont les Européennes sont jalouses ! Là se seraient endormies, aux balancemens de l’orchestre, je ne sais quelles tristesses inquiètes, pâles visions des nuits de Mme  de Langey ! Non, ce n’était pas ainsi que devait s’offrir à ses yeux cette seconde France, cette étourdissante contrée vers laquelle la jeune femme avait bien des fois tendu les bras ! Mme  de Langey s’adressait à cette terre comme à une amie secourable. Peut-être avait-elle conçu l’espoir d’y faire prendre le change à son ennui, à quelque chagrin intime, dévorant ! Elle n’était pas de ces femmes, nous l’avons dit, dont l’âme se réfléchit dans la franchise du regard ; une sérénité froide réglait ses mouvemens et sa démarche. Dans ses yeux seulement demeurait écrit, de façon profonde, immuable, le mépris qu’elle eût fait d’un homme assez lâche pour pâlir devant un péril ou s’en faire