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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

Mme  de Langey conservait un air ennuyé. Était-ce l’influence de sa robe de veuve, ou bien venait-elle d’aborder intérieurement une question chagrine ? Ce qu’il y a de certain, c’est que sa coquetterie excessive s’affligeait déjà d’avoir quitté la Guadeloupe pour Saint-Domingue. À la Guadeloupe, elle était admirée, fêtée partout ; à Saint-Domingue, et malgré l’hospitalité créole, le noble domaine sur lequel elle posait le pied lui susciterait sans doute beaucoup d’envieux ; les méchantes langues s’attaqueraient à une femme sans mari, sans protecteur, sans mère ! Maîtresse d’elle-même et de sa conduite, elle tremblait. Oui, c’était bien un sentiment de crainte qui amenait un pli à ce beau front. Parmi ces êtres si cruellement positifs réunis autour d’elle, vicieux ou froids, libertins ou enchaînés à leurs affaires, Mme  de Langey avait compris bien vite qu’il n’y en avait pas un non-seulement assez fort pour le rendre un jour le dépositaire de ses secrets et de sa destinée, mais aussi qu’il n’en existait aucun dont le charme l’attirât. L’empire qu’elle gardait sur elle lui fit juger d’un seul coup cette jeunesse déjà vieille, ridée par la mollesse et le plaisir, imbue de la funeste oisiveté des garnisons, ou déjà perdue aux souffles contagieux des vents de France, usée de dettes, et n’ayant plus même de patrie. Dans ces quelques hommes qui étaient venus s’abattre ainsi chez elle dès l’abord, comme autant d’oiseaux de proie, elle découvrit sans peine des aventuriers, des intrigans, des ennemis. Tous ces masques, recouverts de je ne sais quel vernis d’élégance et de politesse, la main