Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
LE MAPOU

lui parut triste. Mme l’intendante, la baronne d’Esparbac, personne d’un âge assez mûr, n’était guère faite pour épouser son intimité : c’était une femme qui s’évanouissait à la première sonate attaquée sur un clavecin, et Mme de Langey raffolait de la musique. Par-dessus le marché, l’intendante ne pouvait souffrir aucune odeur, et Mme de Langey était trop à la mode pour n’en point avoir sur elle à entêter la colonie. L’intendante avait des spasmes en voiture, et le goût des chevaux avait pris tellement à Mme de Langey qu’elle en était devenue une véritable amazone. Le premier visage de femme que la marquise rencontra dans Saint-Marc fut celui de Mme l’intendante, enfouie dans une berline basse, sur laquelle deux grands laquais jetaient leurs bras à la nage. Cette vieille figure avait l’air de la narguer en lui prédisant l’avenir le plus ennuyeux dans la colonie. De temps à autre l’intendante levait les yeux de dessus ses cartes pour jeter à la marquise un de ces regards scrutateurs de vieille femme qui sondent toute une vie… Les autres personnes rassemblées autour des tables de jeu s’en éloignaient à leur tour par intervalles, afin de venir balbutier de froids complimens aux bords de la chinntaMme de Langey était étendue plutôt qu’assise. Parmi ces officiers du Port-au-Prince, il y en avait sans doute de fort dignes en tout point de toucher la nouvelle reine, si l’âme de cette femme, ainsi exposée aux hommages de tous, n’eût jeté d’avance l’homme assez hardi pour l’interroger dans une suite de perplexités cruelles.

Au milieu de ce monde rassemblé ainsi à l’aventure,