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DEUX BAPTÊMES.

seul droit conservé à l’esclave était son culte : la religion lui enseignait donc le courage. Dans les temples protestans d’Amérique vous verrez encore les noirs, à l’heure qu’il est, parqués dans un endroit à part, car la séparation des blancs et des nègres se trouve partout à Philadelphie, dans les hôpitaux, dans les prisons, au théâtre, jusque dans le cimetière. Relégués dans un coin de l’église, ils peuvent prier, mais seulement comme Lazare, à quelque distance du riche[1].

Mais à Saint-Domingue, qui comptait alors un bon nombre de familles françaises attachées à la religion catholique, l’église leur ouvrait du moins les bras : la population noire trouvait un libre accès dans les temples, elle s’y agenouillait matin et soir, comme pour contraster, par sa foi vive, avec l’incrédulité railleuse et la corruption déjà avancée des créoles. Ébranlés dans leurs croyances par les doctrines qui leur venaient de France, les colons ne fléchissaient plus en effet le genou qu’avec une sorte de répugnance. Au Cap, on lisait Voltaire en place de la Bible ; à Saint-Marc, au Port-au-Prince, les romans de Crébillon le fils faisaient fureur. Le vent qui soufflait de France n’était pas au respect des choses saintes ; l’escarmouche philosophique y avait envahi jusqu’à la chaire ; le clergé, comme la société, semblait prendre à tâche de ruiner et de dissoudre sa puissance : les convulsionnaires d’un côté et les prélats musqués

  1. Voir l’ouvrage excellent de M. Gustave de Beaumont, Marie.