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SAINTE-ASSISE

qu’il fût alors assez loin de la marquise de Langey, car il s’empressa d’étaler devant elle plusieurs dessins qui la contraignirent à baisser les yeux pour les regarder.

Quant à Saint-Georges, adossé contre une des colonnes de ce salon circulaire, il semblait encore foudroyé de cette apparition imprévue…

Dix-huit ans complets s’étaient écoulés depuis la fuite du mulâtre ; dix-huit ans qui l’avaient tous porté comme autant de flots complaisans à ce faîte d’orgueil. La blessure cruelle faite à son cœur par la créole était fermée, celle qu’avait subi sa dignité d’homme se rouvrait… À la vue de cette femme, pour laquelle il eût rampé à Saint-Domingue et qu’il retrouvait à cette heure comme par une permission tacite de Dieu, l’audace de son triomphe le grandit : il sentit son cœur agité de mille sentimens divers, c’était de la haine, de la fureur et, faut-il le dire ? un amour dans lequel bouillonnait surtout la vengeance. Comme ces éclairs, serpens de feu qui sillonnent l’horizon, tous les ressentimens de son enfance se déroulèrent peu à peu et vinrent éclairer son âme. Oui, c’était bien là cette marquise de Langey qu’il avait connue si fière et si hautaine à la Rose, cette dure maîtresse pour laquelle son cœur avait battu, cette impitoyable reine qui l’avait marqué de son fouet au visage ! En l’entendant nommer, il sentit battre le sang à sa joue… Son cœur lui parût prêt à s’élancer hors de sa poitrine, tant la haine le soulevait ! Par un mouvement machinal et que comprendront tous ceux qui ont souffert de toute la répression de leur colère,