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SAINTE-ASSISE

que ces gens ne louent que ceux qu’ils ne peuvent craindre. Sa voix a un charme particulier : elle n’est ni trop élevée ni trop douce ; seulement c’est une voix de comédienne, et malheur aux femmes qui jouent la comédie ! la voix et le plumage leur en restent. Elle est artiste comme Mme de Maintenon a été dévote, avec un orgueil indicible de protection et pour parler au besoin une langue que son mari n’entende pas. C’est une femme d’esprit, parfaitement née pour jouer de petits proverbes et aimer convenablement : au lieu de cette sphère tempérée, elle a choisi le goût des exagérations ; elle s’est lancée dans la passion à grand éclat ; elle porte, à l’instar de la Clairon, son éventail, en poignard à son côté. Cependant vous la voyez passer de l’amour le plus violent aux refroidissemens de cœur les moins prévus ; le régne de ses amans a autant de durée que celui d’un chanteur à l’Opéra.

Une chose lui plaît surtout dans Saint-Georges, c’est qu’il l’occupe. Il n’a jamais deux jours de suite le même habit, le même nœud, la même boîte ; il a des aventures, il conte bien ; il fait des menuets, il les danse, il les oublie ! Il possède encore d’autres qualités qu’elle n’avoue pas, mais que les femmes devinent et que les hommes envient. Dans ce siècle d’amans blasés, ruinés, ridés à vingt ans, il a le singulier mérite d’arriver jeune, de n’avoir point le titre de roué dès son berceau. C’est un fruit jaune et doré par le soleil des tropiques : la marquise permet qu’on l’admire comme les pommes du jardin des Hespérides ; mais elle réserve son courroux à celle qui serait assez imprudente pour le vouloir dérober.