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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES

sur leurs pas comme un spectre… Un soir, la marquise crut me reconnaître et poussa un cri… Elle considéra sans doute cette vision comme une folie, car elle entra au jeu résolument, elle excitait elle-même de Vannes à jouer ce qui lui restait. Les mains de cet homme ne firent que ramasser de l’or cette nuit… Le lendemain, quand je le cherchai de nouveau, il était parti : j’appris alors qu’il volait au jeu !… Voilà sous quelle main d’amant se débat à cette heure cette fière marquise, et voilà le misérable qui ose se dire votre ami !

— Je n’accorderai jamais mon amitié qu’à de nobles cœurs. Vous, Tio-Blas, vous en aviez un ; vous étiez plus noble que ce de Vannes, que la calomnie attaque peut-être injustement, mais dont la naissance est loin de valoir la vôtre… Pourquoi dégrader à plaisir votre nature, pourquoi ne jamais vous souvenir, Tio-Blas, que vous êtes le comte de Cerda ?

— Qui a prononcé ce nom ? s’écria l’Espagnol en frappant la table avec rage…… Vous parlez, Saint-Georges, à Tio-Blas le marchand, à Tio-Blas qui vous a tendu la main lorsque vous vouliez fuir le joug pesant de la servitude… Encore une fois, reprit-il en se levant avec fureur, qui vous a dit le nom du comte de Cerda ?

— Vous-même, pâle coupable ! Souvenez-vous de ces nuits où vous me faisiez coucher près de vous dans votre tente ? Ces nuits-là sont gravées dans ma mémoire, Tio-Blas ; votre sommeil me fit peur. Vous parliez tout haut comme dans la fièvre ou le délire, vous me réveilliez en sursaut par des cris que j’aurais