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UN ANCIEN AMI.

d’une qualité rare, et cependant il n’avait pu enlever encore un seul coup.

Comme une bête fauve qui ferait entendre un rugissement étouffé, il lança alors de sa poitrine quelques sons rauques par lesquels il semblait vouloir s’exciter lui-même. Les fleurets, croisés de nouveau, décrivirent bientôt autour d’eux une gerbe d’étincelles, ces étoiles phosphorescentes glissaient du fer avec la rapidité d’un fluide. Déjà le plastron du malencontreux rival était moucheté des coups de bouton de Saint-Georges, lorsque, le petit homme s’avisa de nier un coup par un geste qui ralluma la rage du chevalier. Se fendant sur lui de toute la puissance de ses moyens devant la vieille Dick, l’unique spectateur de cette scène, il jeta l’inconnu sur le cheval de bois qui se trouva là fort à propos pour l’empêcher d’être tout à fait renversé…

La Boëssière arrivait en ce moment ; il vit Saint-Georges tenant le fleuret fortement appuyé sur la poitrine de son adversaire, de façon à lui en faire baiser la monture. Le chevalier lui criait d’une voix de Stentor :

— Cette fois ; êtes-vous touché ?

— Tudieu ! je le crois, reprit La Boëssière en prêtant sa main à l’infortuné petit homme, qui se releva difficilement. Vous avez bien fait de tirer incognito… Ma servante et moi nous n’en dirons rien.

— Au contraire, cher maître, reprit le chevalier, vous pourriez dire que monsieur est même un tireur habile ; seulement c’est un tireur entêté.