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SERVANTE ET MERE.

elle avait dû aller le matin. Joseph Platon mangeait avec elle, mais Saint-Georges ne mettait jamais le pied dans la cuisine.

Comme mère, elle pouvait dire mon fils à Saint-Georges pendant cette seule heure, comme servante et devant le monde, elle ne l’appelait jamais que monsieur le chevalier.

Tous ses plaisirs consistaient dans quelques giroflées sur sa fenêtre et des ajustemens de France, dont elle se bigarrait avec le mauvais goût qui préside le plus souvent à la toilette des négresses.

Si elle se promenait quelquefois au jardin du Palais-Royal, c’était pour s’asseoir timidement sur un banc de pierre, d’où elle pût apercevoir Saint-Georges éclairé par les girandoles de la galerie du duc d’Orléans.

Elle n’avait pas au monde une amie à qui elle pût dire sa douleur et son secret.

La fièvre la tenait la moitié de l’année au lit, et elle se voyait dépérir avant le temps.

Lorsqu’il venait chez son fils un grand seigneur, — Un homme à la mode, — une comédienne en titre, — Platon donnait à sa serrure un tour de clé, afin qu’elle ne pût voir ces bêtes infiniment curieuses.

Elle ne devait parler à qui que ce fût de la Rose et de Saint-Domingue ; il lui était enjoint de ne jamais prononcer le mot mulâtre.

À tous les tourmens présens de cette triste créature il fallait ajouter encore ceux de son passé.

Après le départ de son fils, elle n’avait vécu que pour cette idée, le rejoindre !