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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

nieusement ; peu s’en fallut que je ne requisse la prison contre elle ! L’amour de sa rivale s’était déjà glissé comme un serpent au fond de mon âme, celui de la négresse m’était devenu importun. Je la chassai, monsieur, comme Mme de Langey vous a chassé ; en vain espérait-elle m’attendrir par ce seul mot : mon enfant ! J’oubliai le passé, j’oubliai que j’étais père ! »

M. de Boullogne fit une pause. Il semblait courbé en ce moment sous le poids de si impitoyables souvenirs que Saint-Georges le contempla sans pouvoir lui-même proférer une parole… Le vieillard poursuivit après avoir levé les yeux au ciel :

« La négresse désespérée… s’éloigna… Mme de Langey prit bientôt sur moi l’empire le plus grand. J’étais sous l’obsession de son amour : il me laissait à peine l’aiguillon des souvenirs. À de rares intervalles, l’image de la négresse, si injurieusement bannie par moi, venait pourtant se présenter à mon esprit, mais je l’écartais. Je rencontrais auprès d’elle une autre image, celle de ce fils qui devait garder à tout jamais sur son front la couleur ineffaçable de l’esclavage ! Je m’applaudissais d’avoir repoussé ce fils, qui m’eût appelé son père ! La négresse m’avait écrit ; mais depuis que la pauvre femme avait su que chacune de ses lettres resterait près de moi sans réponse, elle ne m’importunait plus, la noble créature, elle souffrait ! Retirée dans une misérable hutte, distante d’une lieue des Palmiers, il semblait qu’elle prît à tâche d’élever cet enfant loin du courroux de son père ; elle le faisait subsister par son seul travail. Ainsi s’é-