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LE CHIRURGIEN NOIR.

moi tous les obstacles. J’avais une foi sans bornes dans cette créole, elle eut bien vite en moi un esclave plus soumis que tous ceux qui l’entouraient. À son arrivée dans la colonie, j’étais déjà pourtant sous le charme d’un autre amour, d’un amour qui n’était peut-être, il est vrai, qu’un tribut payé à ce ciel ou le soleil communique ses ardeurs à nos désirs ; j’aimais une négresse…… une esclave de ma propre habitation, où je ne comptais pas moins de trois cents esclaves.

— Une négresse ! murmura Saint-Georges étonné.

— Une négresse, reprit M. de Boullogne. C’était la plus jeune et la plus belle… Je l’eus bien vite distinguée de ses compagnes ; elle joignait à un irrésistible attrait de grâce un dévouement absolu pour moi. Pendant une maladie longue et périlleuse, elle était restée constamment à mon chevet. Le climat de Saint-Domingue me laissait exposé à des attaques fréquentes dont la violence ne pouvait céder qu’à l’influence magique exercée sur moi par cette esclave. À sa vue seule, ma fièvre s’abattait, le mal semblait fuir, car elle connaissait l’usage des simples les plus utiles à ma crise ; elle était versée dans cette science et renommée dans la colonie… L’habitude de ces soins établit bientôt entre la négresse et moi un entraînement si vif qu’insensiblement l’amour me fit revenir à la santé. Je l’avais tirée de sa misérable condition, je lui avais offert un asile chez moi : chaque jour je bénissais cet ange qui m’avait sauvé ! Comment ne l’aurais-je point aimée, cette femme dont la moindre parole avait eu pour moi le pouvoir d’endormir une