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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

rendez-les moi ! vous vous êtes assez vengé de moi en les ayant lues…

— Non, madame, non, je ne me suis pas vengé. C’est quelque chose, je le sais, que d’avoir à moi cette noble correspondance ; c’est quelque chose que de pouvoir se dire dans le silence de la colère : « Voilà une femme dont je sais la honte, une femme qui s’est vendue, une femme qui a tué ! » C’est quelque chose, mais ce n’est pas tout.

— Que vous faut-il donc ?

— Il me faut, madame, remplir le devoir d’un fidèle mandataire ; il me faut, à cette heure, envoyer ces lettres à M. de Boullogne… elles peuvent l’éclairer.

— Pitié, monsieur, pitié ; ne voyez-vous pas que vous me perdrez aux yeux de M. le contrôleur général ? Encore une fois, vous ne commettrez pas cette lâche vengeance. Tuez-moi plutôt, tuez-moi !

La créole s’était jetée aux genoux du chevalier, elle le regardait avec une expression de terreur que rien ne peut rendre. Elle avait tout oublié ; devant sa menace, sa fierté implacable s’humiliait ; elle eût baisé ses pieds, elle qui jadis avait levé le fouet sur le mulâtre !

C’est qu’aussi la misérable se voyait perdue, elle voyait clair dans sa conscience ; elle était soumise à la volonté de cet homme et attendait de lui son arrêt de mort.

Saint-Georges parut jouir un moment de sa victoire ; il était le maître absolu de cette coupable,