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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

guère devant l’hôtel des Fermes sans jeter un cri de rage étouffé, songeant sans doute que là s’engouffrait l’argent arraché de toutes les parties de la France, pour qu’après ce long et pénible travail il rentrât altéré dans les coffres du roi. La ferme lui semblait d’autant plus coupable qu’elle affectait alors un luxe inouï de table et de domestiques. Le prix du sel montait à treize sous la livre, et la cherté du pain faisait soupçonner un projet d’accaparement.

Dans ces circonstances, on concevra qu’il devint facile d’ameuter les esprits en les entretenant de déprédations et d’abus. La finance absorbait les principaux sucs de la vie publique ; elle était l’humble vassale de la cour. La cour tolérait ses vols journaliers, ses abus, son faste, parce qu’elle en profitait. Soulever le peuple contre la finance, c’était hâter la révolte contre la cour.

À la tête de ceux qui soufflaient au peuple de pareilles colères, le duc de Chartres, à la veille de devenir duc d’Orléans, devait se trouver en première ligne. Le véritable, le seul accaparement des grains fut fait par lui. On connaît la mission en Angleterre du marquis de Ducrest, son chancelier : elle restera dans l’histoire comme un monument de honte. Ce soir-là pourtant ce n’était pas le frère de la marquise de Sillery qui, sous cet ignoble déguisement, se glissait dans cette foule comme un émeutier vulgaire ; il n’était pas encore question d’approvisionner les magasins de Gersey, de Guernesey et de Philadelphie avec les blés de la France. Il s’agissait seulement d’étouffer le cri de Vive le roi ! lorsque les