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LA RUE DE L’ORATOIRE.

de ce jour ; son visage n’était-il pas la seule ombre que l’âme d’Agathe eût réfléchie ?

Nul autre que lui n’avait approché Mlle de La Haye… C’était une incomparable image bien propre à lui faire oublier le monde. Quand il la perdait de vue, il lui semblait qu’un nuage pesait sur ses yeux ; il ne retrouvait la joie qu’en causant avec elle de mille projets et de mille choses. Dédaigneux à l’excès, comme on a pu s’en convaincre, il l’aimait avec la sollicitude d’une âme exclusive, il ne lui semblait pas que le regard d’un homme pût se lever sur elle sans la flétrir…

Ces quelques mots sur l’adoration aveugle du créole aideront peut-être le lecteur à se faire une idée de sa colère lorsqu’il découvrit, à la soirée de la marquise, les audacieuses intelligences de Saint-Georges… Le moment était venu pour Maurice d’interroger Agathe. Après cette découverte, dans une organisation comme la sienne, le doute ne pouvait durer ; il fallait qu’il en sortît violemment… D’ailleurs il devait se battre le lendemain ; cette seule pensée lui fit prendre le chemin de la rue de l’Oratoire…

Il y trouva la jeune fille triste et inquiète ; elle ne s’était pas couchée. Mme de Langey venait de la reconduire, elle lisait un livre à son prie-Dieu… Il était entré, l’avait saluée d’un air sombre et froid, et n’avait pas tardé à l’accabler de paroles dures, jalouses. N’était-ce pas pour elle qu’il avait insulté ce fier mulâtre, ce spadassin redouté ? Pourquoi lui avoir donné sa bague ? En quel lieu ? en quelle ren-