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LA RUE BOUCHERAT.

— Silence ! fit-il en se retournant vers elles, vous n’êtes que des profanes et des menteuses ; vos phrases sont effilées comme le dard du serpent. Silence ; vous m’avez trompé !

Il enferma la bague d’Agathe dans un coffret de velours placé près du lit ; elle eût coulé de son doigt tant sa main était devenue osseuse et maigre…

— Illusion et mensonge que tout amour ! reprit-il. Elles me laisseront abandonné à la dernière heure celles qui m’ont vu autrefois jeune et beau. Que suis-je à leurs yeux, si ce n’est un ruban fané ? Je n’emporterai donc qu’un seul sourire dans la tombe, celui de cette femme souveraine dont j’entends encore le noble pas, dont la figure se balance sur moi comme un rayon !… Où sont les joyeux amis, les coureurs d’assauts, d’opéras et de soupers ? Où sont les blanches mains que je pressais, les fiers spadassins prompts à me céder le pas ? Hélas ! pendant que je rugis seul dans la détresse comme un lion épuisé, mon nom court peut-être sur l’aile de la calomnie à l’armée ou à la cour ; un misérable m’insulte, et je ne puis m’en venger ! Encore une fois, La Boëssière, dites-moi que cet homme est mort ou que vous tuerez cet homme !… Quand je ne souffre pas, voyez-vous, j’oublie de Vannes ; mais quand la douleur m’éveille, comme en cet instant, oh ! je voudrais le tuer, je voudrais !…

Il s’interrompit lui-même alors dans cette menace, car la porte de son appartement s’ouvrit. Un homme encore jeune, portant l’uniforme de colonel aux chevau-légers, entra, pâle, effaré… Il écouta d’abord