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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

pût chercher en moi un partisan. Je lui devais ma fortune ; il pouvait se dire mon maître… Ses saturnales privées me faisaient frémir ; sa maison de filles perdues et de complaisans me répugnait. Spectateur résigné de ses vices, je portais le poids de cette reconnaissance funeste, devenue pour moi un devoir. Madame, j’ai bien souffert ! La moitié de ma vie s’est passée à excuser cet homme à mes propres yeux ; je le croyais frivole, curieux seulement de renommée et d’éclat. Son palais était le mien ; son père m’y avait lui-même accueilli. Mais un jour, supplice affreux ! moi qui vous parle, madame, je l’ai vu dormir sous la main impérieuse de l’orgie ; sous cette main il palpitait et parlait. Sa voix, qui avait l’air de la voix d’un homme mourant, révélait alors d’étranges pensées qui toutes se levaient et formaient autour de moi une ronde impitoyable. Ces pensées bruissent encore comme le flot des grèves à mon oreille… Révolté déjà en secret contre cet homme, je me suis révolté contre lui ouvertement ; je lui ai écrit sous l’empire de ce frémissement d’horreur excité en moi par sa confession involontaire. J’ai refusé d’être son agent. Tous mes doutes tombaient devant sa conduite. Je me suis interdit sa faveur et sa maison. Depuis ce temps ! hélas ! je n’ai plus songé qu’à une chose, à me faire aimer et pardonner de la seule femme qui pouvait me croire coupable. Présomptueux que j’étais ! cette femme se souvient-elle seulement de moi ? sait-elle seulement l’histoire de ma passion insensée, de ma lutte, de mes tortures ? Hélas ! elle me juge incapable de secouer ce terrible joug, elle me croit rivé à tout