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LE CHIFFRE DE LA REINE.

de rien imaginer de plus fou, de plus mouvementé que ce canal hollandais. Des abbés en manchon font crier la glace sous leurs patins à côté de jeunes officiers du Royal-Allemand ou d’élégans vêtus à l’anglaise ; des nègres, des jockeys, des heiduques, attirent le regard par leurs différens costumes. Les grelots et les sonnettes des coquilles qui sillonnent le canal résonnent partout.

Après avoir visité avec Mesdames les porcelaines qu’on étale toujours vers ce temps dans les cabinets de Versailles, la reine, qui s’est arrachée au petit Trianon, est venue assister elle-même, dans la compagnie de Mmes Jules de Polignac et de Lamballe, à ce spectacle d’hiver. Elle est entourée de son escadron habituel, les beaux de la cour ; ce sont MM. de Coigny, de Vaudreuil, d’Adhémar, de Guiche, de Narbonne et le prince d’Esterhazy.

Parmi ces cavaliers, beaux par leur tournure et leur visage, on distingue surtout les Dillon, dont l’un porte le bras en écharpe ; ils causent avec M. de Bezenval, dont chaque parole est une saillie et qui suit M. de Crussol, capitaine des gardes de M. le comte d’Artois.

Cette année, que M. de Lafayette (qui avait bien ses raisons) nomme l’immortelle année, s’est ouverte pour le peuple sous les plus funestes auspices. Le froid excessif est devenu un véritable fléau ; il a fallu que la charité et l’aumône allumassent continuellement pour les pauvres des feux sur les places publiques. Les artisans, les malades ont trouvé partout des tables et des lits dressés : la reine a été la première