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L’IDOLE ABATTUE.

leur avait enlevées ou les paris que son adresse leur avait fait perdre… À la tête de ces ligueurs de salons était venu se placer naturellement M. de Vannes, plus acharné, en sa qualité d’homme à bonnes fortunes, à ruiner la réputation de Saint-Georges que le chevalier de La Morlière, son ami, qui ne faisait après tout que le métier de Morande[1]. M. de Vannes était du petit nombre de ces hommes qui médisent parce qu’ils ne se croient jamais à leur place. L’ambiguïté honteuse de sa vie et ses lâchetés, mises à couvert sous un uniforme, lui faisaient poursuivre avec acharnement le jeu des âmes médiocres et envieuses, le dénigrement. Beaumarchais, qui avait cru devoir personnifier la calomnie dans Basile sous un costume de moine, aurait sans doute regretté de n’avoir pas connu cette classe intermédiaire d’officiers sans valeur comme sans emploi, dont l’épée demeurait une arme inutile à leur côté, pendant que leur langue distillait partout la calomnie à Paris ou à Bruxelles. Cette race métive entre les pamphlétaires et les diffamateurs patentés méritait de se voir peinte en traits sérieux, au lieu de se sentir seulement effleurée à l’épiderme par quelques poésies fugitives de Voltaire. Une chose à laquelle on ne fait pas assez d’attention, c’est que la loyauté militaire en France n’avait pas cédé, jusqu’à cette terrible époque, à la vile influence de l’argent et des caresses. Ce système,

  1. Morande, diffamé à Londres comme à Paris, était un pamphlétaire qui a eu beaucoup d’imitateurs ; il fut surtout célèbre par ses discussions avec le comte de Cagliostro.