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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

affiliés l’attendaient. Parfois cependant, la nuit et lorsque les grilles de l’impur jardin étaient fermées un fantôme pâle osait se dessiner à ce balcon, encombré autrefois de princes, de jeunes seigneurs et d’artistes ; c’était la malheureuse duchesse d’Orléans, la seule plante noble et respectée de cette famille, pure et religieuse ; martyre dont la vie, après avoir été un holocauste, devint un exemple.

Considéré comme centre de société, le palais du duc était donc devenu un vain mot ; il n’y avait plus que son jardin. En parcourant ces arcades empestées elles-mêmes de tant de miasmes révolutionnaires, Saint-Georges put se convaincre d’une chose bien plus triste encore, c’est qu’il n’y avait plus en France aucun respect pour la royauté ! À chaque pas ce n’étaient qu’écrits contre le chef de l’État ou complots furtifs contre la reine ; la calomnie distillait partout son venin. La représentation extérieure était elle-même devenue à charge aux grands ; l’égoïsme et l’avarice, qui semblaient gouverner les âmes, avaient porté la confusion des états à un point extrême. Les personnes d’un âge mûr, celles qui avaient travaillé toute leur vie pour obtenir les ordres du roi, témoignages de la plus haute faveur, s’étaient habituées à en cacher en public les marques distinctives sous le frac plus uni. Ce travestissement, résultat de la mode anglaise, était un moyen commode d’échapper à la gêne de la représentation ; le mépris du peuple en résultait ; un tel oubli validait les insinuations perfides contre une noblesse se déconsidérant ainsi elle-même.