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WAPPING.

la rue, malgré la nuit et l’heure avancée. Saint-Georges s’approcha : il reconnut le prince. Il le reconduisit à son hôtel, où il passa près de lui une grande partie de la nuit… À moitié brisé par le vin et la fatigue, le duc n’avait pas tardé à s’endormir… Quel sommeil, bon Dieu ! et de quelle terreur ne dut pas être saisi le chevalier en lui entendant prononcer des noms sans ordre, des noms qui, dans ce sommeil épais, passaient sur ses lèvres comme un remords ! Il recueillit ceux de la reine, du comte d’Artois, du prince de Lamballe… L’imprudent coupable s’accusait tout haut de l’assassinat de ce jeune homme ; il ne cachait pas davantage ses projets contre la cour, il s’avouait tout haut le fils du cocher Monfort ! En vérité, ce sommeil n’était plus un vain sommeil, c’était une redoutable prophétie… Saint-Georges se ressouvint alors d’avoir vu ce prince insouciant et léger, courant après le plaisir avant de courir ainsi après le trône par un chemin taché de gouttes de sang !

Le lendemain matin, la porte du duc s’ouvrit : c’était le prince de Galles pâle, ému de colère, qui venait l’accuser de l’avoir triché au jeu[1]. Vainement encore le duc voulut-il alors s’emporter, le prince en lui proposant un duel le mit bientôt dans la triste nécessité de s’avouer lui-même coupable d’une étourderie. Une étourderie ! l’excuse était pire que le délit !

  1. On accusait le duc d’Orléans d’avoir mis à la mode un certain habit auquel on adaptait des boutons d’acier de grandeur démesurée et tellement polis que les cartes de ses adversaires s’y reflétaient comme dans un miroir.