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LA MAISON PÂLE.

— Grâce…… murmura-t-elle…… je suis en votre pouvoir, grâce !……

Il n’a pas demandé de grâce, lui ! Il est mort noblement… sans me prier… sans me conjurer… Oh ! ce n’était point un lâche !

Il la quitta brusquement pour s’enfuir dans le jardin… La créole demeura seule dans la demi-obscurité produite par la nuit tombante. Son regard inquiet eut bientôt fait l’examen de cette chambre ; elle frémit en revoyant cette carte où le doigt de l’Espagnol s’était promené un instant, comme eût fait le doigt de Dieu ! Dans une semblable situation, il lui devenait difficile de ne pas songer au seul être qui eût pu l’arracher à ce cercueil anticipé, à ce fils que peut-être elle ne devait plus revoir… Pour la première fois des larmes de mère vinrent baigner sa pâle joue ; sa consternation fut horrible en songeant que nul ne pourrait même soupçonner sa misère… Il n’y avait pas d’apparence que le chevalier lui-même se fût arraché à son accablement pour suivre cette voiture ; et d’ailleurs, une fois dans la tanière du tigre, quel vengeur serait assez hardi pour l’arracher à son ongle ? La perspective de la vie affreuse qu’elle allait mener donna pourtant à la créole un affreux courage, un courage qu’elle n’eût pas cru trouver elle-même au fond de son cœur : pressentant que tout moyen d’écrire lui serait refusé dans cette maison, elle prit une épingle et se piqua le bras gauche… Cela fait, elle détacha sa respectueuse[1], et sur

  1. Large nœud qui ornait la poitrine des femmes du temps de Louis XVI.