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LES BATONNISTES.

le parquet de son talon. Comme le bronze reluit à la flamme, son visage, dont chaque muscle était en jeu, réfléchissait les lueurs qui sortaient de l’âtre ; ses dents blanches claquaient violemment, son front ruisselait de sueur, sa main par un mouvement machinal demeurait encore sur la garde de son épée.

La marquise venait elle-même de dégrafer sa robe de Pomone, elle se jeta sur un sopha.

— Vous avez là, dit-elle au chevalier, une charmante bague… laissez-la-moi voir.

Il lui présenta sa main.

Aucun de ses gestes n’avait échappé à la marquise dans cette fatale soirée. La contrainte que son rôle d’opéra imposait à Mme de Montesson ne l’avait pas tellement liée qu’elle n’eut pu voir distinctement le manège amoureux du chevalier ; elle en avait suivi chaque progrès avec une incroyable avidité. Elle-même n’avait choisi cette soirée que comme une pierre de touche, bien résolue d’y épier l’impression que la nouvelle inattendue de ce mariage ferait sur l’esprit de Saint-Georges. Dans les entr’actes, elle avait collé son œil au trou de la toile comme une actrice ordinaire ; elle avait pu le voir échangeant avec Agathe une sorte de conversation muette, chaque soupir sorti du cœur de Saint-Georges était venu retentir à son oreille… L’humiliation et le dépit l’avaient brisée.

Au milieu de ce monde préoccupé du seul intérêt de la comédie, cette intelligence et cette sympathie de deux êtres ne s’entretenant que de leur amour lui avait paru une injure.

La vue de cette bague passée au doigt du mulâtre