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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

ment d’autres arrivaient, et le nombre exigé pour la réunion une fois atteint, ils se rassemblaient tous dans la plus sourde pièce de cette bastille… Partout le quartier d’Enfer il n’était venu encore à l’idée de personne de les croire faux-monnayeurs, et pourtant ils en avaient bien l’allure.

Le personnage retranché dans cette maison ne se trouvait pas lui-même exempt de toute ressemblance avec la couleur de sa façade, car il n’était pas besoin des rayons de la lune pour que la seule pâleur de ses traits en fît un fantôme. Maigre, bilieux, plein d’empire et de lenteur souveraine dans ses moindres mouvemens, il se promenait la plupart du temps dans sa cour ; les bras croisés, interrogeant de l’œil quelques plantes étiolées des tropiques, qu’il s’obstinait à y vouloir faire fleurir. À son air rêveur et profondément absorbé, vous l’eussiez pris d’abord pour un savant ou pour un chercheur de la pierre philosophale… Sa tête était nouvellement rasée, et la lueur du moindre flambeau s’y mirait comme sur l’onde d’un lac… Il aimait peu à parler et répondait à peine aux questions qu’on lui adressait. Souvent encore, c’était moins son pas, dont le bruit était imperceptible, que la fumée légère de son cigare en papier qui trahissait sa présence dans les allées du maigre jardin où il avait coutume de se promener… Quand on l’apercevait, on éprouvait devant lui une sorte d’effroi, commandé par son sourire dur et méprisant. Il tenait habituellement à la main un chapelet à grains d’argent et d’ivoire ; sur ces grains, il marmottait à voix basse des oremus.