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sans flatterie sa mandibule pendante, conserva néanmoins ses bonnes grâces. Et ainsi le monarque espagnol s’est acquis devant la postérité la très grande gloire d’avoir été le protecteur d’un génie.

Mais les hommes d’aujourd’hui sont ainsi faits qu’ils ont peur de la vérité et qu’ils adorent le mensonge.

Cette répugnance pour la sincérité artistique se révèle même chez nos contemporains les plus intelligents.

Il semble qu’ils soient fâchés de paraître tels dans leurs bustes. Ils veulent avoir l’air de coiffeurs.

Et de même les femmes les plus belles, c’est-à-dire celles dont les lignes offrent le plus de style, ont horreur de leur propre beauté quand un statuaire de talent s’en fait l’interprète. Elles le supplient de les enlaidir en leur attribuant une physionomie poupine et insignifiante.

C’est donc une rude bataille à livrer que d’exécuter un bon buste. Il importe de ne pas faiblir et de rester honnête vis-à-vis de soi-même. Tant pis si l’œuvre est refusée ! Tant mieux plutôt : car, le plus souvent, c’est la preuve qu’elle est pleine de qualités.

Quant au client qui, bien que mécontent, ac-