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Par une loi étrange et fatale, celui qui commande son image, s’acharne toujours à combattre le talent de l’artiste qu’il a choisi.

Il est très rare qu’un homme se voie tel qu’il est, et, même s’il se connaît, il lui est désagréable qu’un artiste le figure avec sincérité.

Il demande à être représenté sous son aspect le plus neutre et le plus banal. Il veut être une marionnette officielle ou mondaine. Il lui plaît que la fonction qu’il exerce, le rang qu’il tient dans la société effacent complètement l’homme qui est en lui. Un magistrat veut être une robe, un général, une tunique soutachée d’or.

Ils se soucient peu qu’on lise dans leur âme. Ainsi s’explique d’ailleurs le succès de tant de médiocres portraitistes et faiseurs de bustes, qui se bornent à rendre l’aspect impersonnel de leurs clients, leur passementerie et leur attitude protocolaire. Ce sont ces artistes qui sont ordinairement le plus en faveur, parce qu’ils prêtent à leur modèle un masque de richesse et de solennité. Plus un buste ou un portrait est emphatique, plus il ressemble à une poupée raide et prétentieuse, et plus le client est satisfait.

Peut-être n’en fut-il pas toujours ainsi.