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sont parfois étrangement frénétiques. Il arrive qu’un corps tout entier soit serti d’une ligne unique lancée d’un seul jet. On reconnaît l’impatience d’un artiste qui a craint de laisser échapper une impression très passagère. La teinte de la peau est lavée en trois ou quatre balafres qui sabrent le torse et les membres : le modelé est sommairement produit par le dépôt plus ou moins épais que forme la couleur en séchant ; d’ailleurs le pinceau est si brusque qu’il ne prend même pas le temps de ramasser les gouttes entraînées au bas de chaque touche. Ces croquis fixent des gestes très rapides ou bien des flexions si transitoires qu’à peine l’œil a-t-il pu en saisir l’ensemble pendant une demi-seconde. Ce ne sont plus des lignes, ce n’est plus de la couleur : c’est du mouvement, c’est de la vie.

Plus récemment encore, Rodin continuant à faire usage du crayon, a cessé de modeler avec le pinceau. Il s’est contenté d’indiquer l’ombre en estompant avec le doigt les traits du contour. Ce frottis gris argenté enveloppe les formes comme d’un nuage : il les rend plus légères et comme irréelles : il les baigne de poésie et de mystère. Ce sont ces dernières études qui, je crois, sont les plus belles. Elles sont à la fois lumineuses, vivantes et pleines de charme.